A woman holding a fuel efficient stove
Claudine Biongo, vice-présidente d'un réseau de groupes de femmes locaux à Mbandaka, en RDC, avec un poêle à faible consommation d'énergie produit par le groupe. Photo de Molly Bergen / WCS, WWF, WRI

Molly Bergen vient de visiter trois pays pour enquêter sur les activités sur le terrain du Programme Régional pour l'Environnement en Afrique Centrale (CARPE), un programme de conservation financé par le gouvernement des États-Unis et mis en œuvre par une coalition d'ONG, dont le WRI.

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Après plusieurs heures de remontée plutôt secouée du fleuve Congo en canot automobile, mes compagnons de voyage et moi arrivons sur la plage boueuse d'un poste de contrôle militaire — quelques bâtiments coloniaux en ruine, un panneau solaire, des rangées de cases. Un autre bateau motorisé, le seul que nous verrons ce jour-là, s'y trouve déjà, et à côté de lui notre petite embarcation a l'air bien dérisoire.

La péniche, qui crache de la fumée noire dans l'air humide, semble avoir été bricolée de bouts de bois et de ferraille. Sur le pont supérieur, des femmes broient du manioc dans des seaux à côté d'une cuisinière. Sous le pont, une fille laisse traîner, dans le fleuve couleur café, une tasse attachée à une longue ficelle. Entre les deux, la péniche déborde de sacs en plastique blancs bourrés du carburant qui alimente l'essentiel de l'économie actuelle de la République Démocratique du Congo : le charbon.

Le commerce du charbon en RDC est intimement lié à de nombreuses forces qui conditionnent la vie des 83 millions de Congolais: la tradition, l'opportunité, la destruction, la violence. Pour ceux qui veulent protéger les forêts du pays et améliorer les vies de ceux qui en dépendent, la réforme de l'industrie du charbon est primordiale.

Énergie forestière

Plus de 2,5 milliards d'êtres humainsutilisent la biomasse (charbon, bois, bouse) pour faire leur cuisine quotidienne. En RDC, environ 90 pour cent de la population utilise le bois et le charbon. Pourquoi ? En termes simples, à cause des infrastructures énergétiques limitées (seulement 9 pour cent des Congolais ont l'électricité chez eux) et des forêts abondantes.

La RDC, dont la superficie équivaut à celle de l'Europe occidentale, renferme dans ses frontières la majorité de la deuxième forêt tropicale intacte de la Terre (après celle de l'Amazone). Jusqu'ici, le rythme de la déforestation a été inférieur à celui observé dans la forêt amazonienne et indonésienne ; en 2000, 61 pour cent de la RDC était encore recouvert de forêt primaire intacte. Mais entre 2000 et 2010, plus de 10.000 kilomètres carrés de couvert forestier ont été perdus, une superficie presque équivalente à celle de la Belgique.

 

Charcoal ready to be sold in Iyemba Monene, DRC. Photo by Molly Bergen/WRI
Du charbon prêt à la vente à Iyemba Monene, RDC. Photo par Molly Bergen/WCS, WWF, WRI

Le premier responsable du déboisement est l'agriculture. Une fois les parcelles forestières coupées et brûlées pour faire place aux cultures, les rondins sont empilés dans de grands fours fabriqués de bois et d'argile, où les hautes températures les transforment en charbon. Les zones urbaines telles que la mégalopole de Kinshasa, avec ses plus de 11 millions d'habitants et un des taux de croissance les plus rapides au monde, alimentent la demande : le charbon, qui produit une chaleur plus intense que celle du bois, est également plus facile à transporter. À mesure que les forêts dans la région de Kinshasa disparaissent, les habitants de la capitale doivent chercher plus loin le combustible pour leurs fours et cuisinières.

La demande croissante a fait du commerce du charbon une industrie qui rapporte gros — et nombreux sont ceux qui cherchent à profiter de la manne.

Des bénéfices doublés — mais qui ont un coût

Près de Mbandaka, une petite ville à environ 600 kilomètres au nord-ouest de Kinshasa, nous avons fait la connaissance d'un homme qui vivait à Kinshasa mais venait régulièrement ici pour fabriquer lui-même chaque fois 50 grands sacs de charbon, qu'il ramenait en péniche à la capitale. Même en tenant compte des coûts de transport, des producteurs comme lui peuvent doubler leurs bénéfices en vendant à Kinshasa plutôt que sur les marchés locaux.

Les impacts de ce commerce croissant sont importants. Selon les estimations, la coupe et le brûlage des forêts tropicales sont responsables de 11 pour cent des émissions mondiales de gaz à effet de serre. Et à mesure que les forêts disparaissent nous perdons également les espèces (telles que les grands singes et les éléphants de forêts) qui les habitent, ainsi que les ressources naturelles dont dépendent des millions de personnes.

Dans l'est de la RDC, region ravagée par les conflits, le commerce lucratif du charbon a également un impact plus immédiat : il alimente les activités des milices armées qui sèment la terreur dans la région depuis que la fin officielle de la dernière guerre civile en 2003. Dans le Parc National des Virunga et les zones rurales autour de lui, des groupes tels que les Forces Démocratiques pour la Libération du Rwanda obligent les producteurs de charbon à s'acquitter d'un tarif s'ils veulent poursuivre leurs activités et éviter des conséquences souvent violentes. Le désir d'augmenter la superficie ouverte à la production du charbon semble même avoir joué un rôle dans l'abattage de gorilles de montagne, une espèce en danger de disparition qu'on ne trouve nulle part ailleurs au monde.

Une étude de terrain récente sur la production de charbon, réalisée par la Wildlife Conservation Society dans le nord-ouest de la RDC, a conclu que la vente du charbon fournit aux ménages des revenus importants, leur permettant de payer des frais médicaux et scolaires. Toutefois, quand on leur a demandé s'ils aimeraient mieux gagner leur vie d'une autre manière, majorité des enquêtés ont répondu que oui.

Cuisinières et satellites

Les initiatives pour endiguer la destruction forestière liée au commerce du charbon doivent s'attaquer aux deux faces du problème : l'offre et la demande.

Les gardes forestiers ont besoin de plus de ressources pour appréhender sur le terrain les producteurs de charbon illicite. Des outils de suivi tels que Global Forest Watch (GFW) — un système en ligne interactif de suivi et d'alerte — et l' Atlas Forestier — une plateforme qui conjugue la technologie de GFW et des jeux de données d'origine nationale afin de fournir des informations plus détaillées — pourraient faciliter des alertes en temps réel relatives aux changements de couvert forestier, des alertes qui permettraient aux gardes forestiers de répondre plus rapidement aux incendies actifs et aux activités qui entraînent la perte forestière. Dans d'autres cas, les gardes savent où la production du charbon s'effectue, mais ils manquent le matériel nécessaire pour confronter les auteurs de ces délits sans se mettre en danger. Des ressources supplémentaires en matière de personnel et d'équipements sont donc essentielles pour que des patrouilles ciblées puissent se réaliser dans des zones dangereuses.

 

Charcoal kiln on a site recently cleared of forest in Ntondo, DRC. Photo by Molly Bergen/WRI
Four à charbon sur un site récemment déboisé à Ntondo, RDC. Photo par Molly Bergen/WCS, WWF, WRI

Le besoin de réduire la demande du charbon comme source énergétique a poussé le gouvernement de la RDC (avec le soutien de bailleurs privés) a mettre en place plusieurs petites installations hydroélectriquesdans l'est de la RDC. Malgré le potentiel de ces installations, elles sont trop modestes pour diminuer de manière significative le commerce national du charbon. D'autres stratégies énergétiques seront donc nécessaires.

À cette fin, les cuisinières plus écoénergétiques constituent une possibilité prometteuse. Dans le cadre du CARPE, le World Wildlife Fund a commencé en 2008 à travailler avec des communautés dans l'est de la RDC pour produire des cuisinières écoénergétiques qui utilisent moins de charbon. Avec le soutien du CARPE et d'autres bailleurs, l'initiative a produit dans la région plus de 90.000 fours. Entre 2008 et 2015, l'utilisation de ces cuisinières a permis de réduire le besoin local de charbon de 17 pour cent, soit une quantité équivalente à 300 hectares de forêt vierge. Le projet s'est étendu dans la région de Mbandaka.

« La nouvelle cuisinière consomme très peu, » témoigne Jacquie Kangu, présidente d'un réseau d'associations de femmes dans la région de Mbandaka. « [Avec d'autres fours] des fois il fallait acheter un sac de charbon tous les 15 jours, mais maintenant je peux aller deux mois et demi ou trois mois sans avoir besoin d'acheter un autre sac. »

En plus de réaliser des économies énergétiques, les communautés rurales qui produisent les cuisinières sont rémunérées pour leur travail, des revenus qui leur réduisent leur besoin de déboiser la forêt. Les cuisinières écoénergétiques sont également liées à d'autres avantages pour les femmes et les filles, dont une amélioration de leur santé respiratoire, du temps supplémentaire à consacrer aux études et une probabilité réduite d'agressions sexuelles.

Les solutions à un problème aussi complexe que le commerce du charbon ne sont pas faciles, et les résultats ne se voient pas tout de suite. Mais le renforcement des données satellites et de l'application de la loi, ainsi que l'extension des projets communautaires réussis, nous donne la meilleure chance de préserver pour les générations futures les forêts le long du fleuve Congo.

Le Programme Régional pour l'Environnement en Afrique Centrale (Central Africa Regional Program for the Environment, ou CARPE) de l'Agence des États-Unis pour le Développement International (US Agency for International Development, ou USAID) soutient des initiatives pour renforcer la gestion de la biodiversité et des ressources naturelles du Bassin du Congo. Il est mis en œuvre en collaboration avec African Parks, l'African Wildlife Foundation, le Service des États-Unis pour la Pêche et la Faune (US Fish and Wildlife Service), le Service des États-Unis pour les Forêts (US Forest Service), l'Université du Maryland, la Wildlife Conservation Society, le World Resources Institute, le World Wildlife Fund et d'autres partenaires.