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L'Afrique centrale représente incontestablement un site de conservation par excellence. La forêt tropicale intacte de la région, la deuxième au monde, contient parmi les paysages et les faunes les plus spectaculaires de la planète : des forêts brumeuses, des rivières mugissantes, des troupeaux d'éléphants et les trois quarts des espèces de grands singes de la Terre. La région a également 188 millions d'habitants humainsqui luttent pour leur survie et pour subvenir aux besoins de leurs familles dans un contexte de défis persistants — des conflits armés, des maladies mortelles, des tensions autour des élections, une pauvreté extrême — qui rendent la protection de la nature beaucoup plus difficile. Bref, c'est une situation compliquée.

J'ai voyagé récemment en République Démocratique du Congo (RDC), République du Congo et République centrafricaine avec des collègues du Programme Régional pour l'Environnement en Afrique Centrale (CARPE), un programme de conservation et développement financé par le gouvernement des États-Unis et mis en œuvre par une coalition d'ONG. Nous déplaçant en avion, Jeep et canot automobile, nous avons visité des villes, villages et aires protégées. J'ai parlé avec des représentants gouvernementaux, des agriculteurs, des scientifiques, des gardes forestiers, des avocats, des pêcheurs et des employés d'ONG. Quatre thèmes principaux ont resurgi constamment au cours de ces échanges.

1. Le succès des efforts de conservation dépend parfois de détails ennuyeux.

Dans la récolte de financements pour les initiatives de conservation, des réponses simples sont depuis longtemps proposées pour faire appel aux émotions des donateurs. Donner de l'argent et sauver un animal en danger. Creuser un puits et améliorer les vies de tous les habitants d'un village. Ce sont des objectifs importants, mais leur réalisation dépend souvent de l'attention qu'on prête aux détails moins photogéniques.

Prenons par exemple le travail des gardes forestiers en Afrique centrale. Sans essence pour leurs motocyclettes et canots automobiles, ils ne peuvent pas atteindre les forêts et communautés où ils travaillent. Sans de bonnes paires de bottes, ils ne peuvent pas effectuer leurs patrouilles dans les forêts. Et sans des téléphones satellitaires qui fonctionnent, ces gardes forestiers ne peuvent pas avertir d'autres autorités lorsqu'ils découvrent des activités illégales.

Pour les programmes de conservation, les objectifs éclatants — le sauvetage des perroquets, l'arrestation de braconniers — ne peuvent être réalisés sans soutien opérationnel : approvisionnement en matériel, essence dans les réservoirs des véhicules, personnel bien formé et de nombreux autres détails à la fois banals et primordiaux.

2. La corruption constitue une menace constante.

Le Prix Nobel de la Paix Wangari Maathai l'a souligné dans son livre excellent _Un défi pour l'Afrique _: « La réussite en matière de développement n'est pas seulement une question d'argent ; si tel était le cas, l'Afrique aurait résolu beaucoup de ses problèmes depuis longtemps. »

La RDC, la République du Congo et la République Centrafricaine se classent régulièrement parmi les pays les plus corrompus au monde— et la situation semble s'aggraver. Une étude récente effectuée par TRAFFIC a conclu que le grand banditisme en Afrique centrale profite de la corruption pour échapper à la répression du trafic d'ivoire.

 

Près du village d'Ilanga, dans le nord-ouest de la RDC._ _Photo par Molly Bergen/WCS, WWF, WRI
Près du village d'Ilanga, dans le nord-ouest de la RDC._ _Photo par Molly Bergen/WCS, WWF, WRI

Dans une société en proie à la corruption, l'argent et le pouvoir restent entre les mains d'une minorité, et ceux qui voudraient élever leurs voix contre ces pratiques sont réduits au silence. La culture des pots-de-vin pénètre jusqu'en bas de l'échelle, au niveau des gendarmes, gardes forestiers et autres fonctionnaires qui peinent à gagner leurs vies sur de maigres salaires.

La lutte contre un système aussi enraciné dans les gouvernements locaux nécessite une approche vaste et multidimensionnelle qui s'étend bien au-delà du domaine de l'écologie. Sur le terrain, toutefois, des défenseurs de l'environnement font leur part pour endiguer le problème. Dans son travail avec des organisations locales telles que la Juristrale et le Conseil pour la Défense Environnementale par la Légalité et la Traçabilité, le CARPE défend la transparence au sein des processus judiciaires longtemps minés par la corruption. Par exemple, en visitant fréquemment les prisons où les braconniers purgent leurs peines, les avocats de ces ONG peuvent servir de sentinelles et empêcher des braconniers d'obtenir leur libération par le biais de pots-de-vin.

3. Les conséquences inattendues sont presque inévitables.

Depuis un certain nombre d'années, des organisations internationales envoient des centaines de millions de moustiquaires en Afrique subsaharienne pour essayer d'éradiquer le paludisme. Malheureusement, de nombreux bénéficiaires ont commencé à utiliser ces filets pour pêcher. La maille très fine attrape tout, y compris les poissons juvéniles, poussant jusqu'à l'épuisement des zones de pêche déjà surexploitées. Et à mesure que les populations de poissons baissent, les pêcheurs se tournent vers une autre source de protéine : la viande de brousse.

En revanche, un projet très simple peut avoir une gamme d'impacts positifs. Dans les deux Congo, le WWF et la Wildlife Conservation Society ont lancé l'utilisation des cuisinières éconergétiques pour la cuisson cuisinières ecoénergétiques. En plus de réduire la consommation de bois (et, partant, la déforestation), ces cuisinières peuvent également contribuer à l'atténuation des taux de maladies respiratoires. Pour les femmes et les filles, le temps qu'elles ne passent plus à ramasser du bois peut être consacré aux études. Et en passant moins de temps à ramasser du bois dans des zones isolées, elles sont également moins exposées au risque d'agressions sexuelles.

4. Des investissements à long terme sont essentiels.

 

Une route mal entretenue près du village congolais d'Iyembe Monene. Photo par Molly Bergen/WCS, WWF, WRI
Une route mal entretenue près du village congolais d'Iyembe Monene. Photo par Molly Bergen/WCS, WWF, WRI

Le financement des programmes de conservation et de développement exige souvent des résultats dans un an ou deux, mais ces initiatives ont parfois besoin de beaucoup plus de temps pour décoller et créer une dynamique favorable. En RDC, par exemple, les déplacements entre les sites, même proches, peuvent prendre des jours, voire des semaines, à cause du mauvais état des routes, du manque de véhicules ou d'essence (voir le défi 1) ou de la météo. Et les bienfaits des nouveaux projets peuvent mettre du temps à pénétrer la communauté et se généraliser. Par exemple, un projet d'élevage de chèvres peut ne concerner au départ que cinq familles. Au fur et à mesure qu'elles commencent à gagner des revenus en vendant leurs chèvres, leurs voisins le remarqueront et auront peut-être envie d'adhérer au projet. Mais ces résultats ne se produisent pas du jour au lendemain.

Face à tous ces défis, les investissements à long terme et l'expérience sur le terrain des partenaires gouvernementaux et ONG du CARPE ont permis de réaliser des progrès réels en matière de conservation au cours des deux dernières décennies, qu'il s'agit de l' arrestation d'importants trafiquants d'ivoire, de la création de nouvelles aires protégées ou de l' augmentation de la population des gorilles de montagne. Mais si nous voulons protéger de manière adéquate les forêts de l'Afrique centrale et toutes les formes de vie qu'elles contiennent, il faudra que le gouvernement des États-Unis et ses partenaires locaux poursuivent leur engagement.

Le Programme Régional pour l'Environnement en Afrique Centrale (Central Africa Regional Program for the Environment, ou CARPE) de l'Agence des États-Unis pour le Développement International (US Agency for International Development, ou USAID) soutient des initiatives pour renforcer la gestion de la biodiversité et des ressources naturelles du Bassin du Congo. Il est mis en œuvre en collaboration avec African Parks, l'African Wildlife Foundation, le Service des États-Unis pour la Pêche et la Faune (US Fish and Wildlife Service), le Service des États-Unis pour les Forêts (US Forest Service), l'Université du Maryland, la Wildlife Conservation Society, le World Resources Institute, le World Wildlife Fund et d'autres partenaires.